Aiguillonnée par la géographie culturelle, notre conférence explore les liens nature-culture au sein des zones humides continentales européennes. Par leur ambivalence physique et symbolique, par leur moindre intégration dans les marchés économiques mondialisés qui autorise une plus grande expression de l’imaginaire de leurs gestionnaires, les zones humides continentales se prêtent à cet exercice. On y cherchera, d’une part, l’influence du sacré dans le contenu biologique des milieux et, d’autre part, la notion de paysage littéraire, en émettant l’hypothèse que la prégnance de la pensée et du sacré influence le façonnement des paysages.
L’eau, claire et lustrale, mêlée de terre, argile ou boue, exerce une grande fascination dans l’Ancien et le Nouveau Testament qui y voient tour à tour la matrice du monde –c’est à partir d’argile qu’Adam est façonné, c’est au troisième jour de la Création que Dieu sépare la terre ferme et l’eau- et la rédemption des fidèles par le baptême. L’eau et les territoires qu’elle commande –vallées, marais, sources et littoraux- occupent ainsi une place centrale dans les symboles chrétiens et ont joué un rôle non négligeable dans l’histoire de l’aménagement des milieux naturels. Quel est-il ? Qu’en reste-il aujourd’hui alors que la nature est dite désenchantée ? Peut-on encore repérer une dimension spirituelle des paysages liés à l’eau, jardins, parcs ou lieux marqués par une forte naturalité ? L’analyse critique des symboles chrétiens liés à l’eau, effectuée à partir de l’Ancien et du Nouveau Testament et de quelques vies de saints ou de congrégations religieuses, sera reliée à la morphologie et au contenu biogéographique des jardins inclus dans les abbayes, couvents et autres établissements monastiques. A l’écart du monde profane, et souvent inaccessibles, ces jardins n’en constituent pas moins des modèles pour nombre de réalisations paysagères contemporaines. Alors que l’écologie côtoie le sacré et que la nature tend à être la médiatrice du divin pour ses usagers, nous verrons en quoi certains projets d’aménagement de l’espace, citent, voire copient, cet agencement mystique de la nature.
On traquera alors les fondements du paysage littéraire, c’est-à-dire d’un paysage dans lequel la littérature laisse des traces matériellement perceptibles en forgeant des représentations susceptibles de guider le choix des gestionnaires. La sémiotique du marais et des lieux d’eau sera ici étudiée dans la littérature policière à partir d’un corpus récent rassemblant plus d’une cinquantaine d’œuvres parues depuis 1950. Le corpus retenu est délibérément grand-public et reflète tout à la fois la grande qualité littéraire du polar contemporain, son souci de décrire des réalités sociales et enfin sa capacité à toucher un public très large. En confrontant la sémiotique policière de l’humide à l’ouvrage de Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, paru en 1942, la synthèse proposée montre tout à la fois la perpétuation de quelques schèmes perceptifs mais également le renouvellement, voire l’apparition, d’items nouveaux principalement rassemblés autour des notions de rupture (de l’espace-temps, notamment), de passage, de mémoire et de nostalgie écologique. Ce corpus sert ensuite de guide de lecture pour les paysages de zones humides intérieures de la France métropolitaine. A partir de quelques études de cas, on repèrera les subtils échanges entre les lecteurs et les lieux d’eau et on relie la littérature policière à des paradigmes paysagers dont les gestionnaires sont pénétrés lors de leurs décisions d’aménagement de l’espace palustre.